lundi 29 août 2011

Lutte contre le piratage : l'intense lobbying du Gouvernement américain lors de la DADVSI

Le 26 août 2011, le site Wikileaks a publié toute une série de cables diplomatiques adressés par l'Ambassade des Etats-Unis d'Amérique à Paris. Un des sujets traités par les diplomates américains concerne la politique française de lutte contre le piratage montrant ainsi le vif intérêt porté par ces derniers lors des discussions et adoptions des lois DADVSI ou HADOPI.

Wikileaks - La verdad siempre vencerá
Source : Antonio Marín Segovia, sur Flickr (CC)

En particulier, la loi DAVDSI a donné l'occasion pour la diplomatie américaine de mettre en oeuvre le principe dit de "soft power". Frédéric Martel (Mainstream, Editions Champs actuel, 2011, p.9) le définit ainsi : "c'est l'idée que, pour influencer les affaires internationales et améliorer leur image, les Etats-Unis doivent utiliser leur culture et non plus seulement leur force militaire, économique et industrielle". Faisons cette petite plongée en abîme et découvrons, grâce à Wikileaks, l'interaction de l'industrie culturelle américaine et de leur diplomatie sur les débats parlementaires autour de notre première loi relative au droit d'auteur à l'heure du numérique.

Sans doute, nous pourrons garder à l'esprit ces mots de Jack Valenti, ancien président de la toute puissante MPAA (Motion Picture Association of America) : "C'est aux professionnels de fixer les règles, pas aux gouvernements".

15 novembre 2005 : un update sur les questions de propriété intellectuelle en France

Le document annonce le souhait du Premier ministre, Dominique de Villepin, d'adopter par l'intermédiaire de la procédure d'urgence la loi de transposition de la directive "EUCD"et ceci d'ici le début de l'année 2006. On parle ici de la future loi "droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information" (DADVSI).

Le cable décrit l'opposition de plusieurs groupes à cette loi, et notamment d'associations de consommateurs et de représentants de certains ayants droit.

22 mars 2006 : La loi française pénalise le téléchargement de fichier et introduit l'interopérabilité pour les contenus numériques

La dépêche diplomatique fait le point après l'adoption en première lecture par l'Assemblée nationale de la loi DADVSI. Les Etats-Unis ne mâchent pas leur mot sur le texte adopté par les députés :
"What was originally seen as an opportunity to adapt France's Intellectual Property Code to the digital environment and combating piracy and counterfeiting has become a highly complex, technical text, incomprehensible even to the most specialized lawyers. The debate is therefore far from over as the draft bill moves to the Senate in May, where parliamentary staff is far more knowledgeable on high-tech and intellectual property issues than the National Assembly"
En effet, à l'occasion de la DADVSI, il avait été envisagé d'appliquer une amende de 38 euros à toute personne qui aurait téléchargé un contenu sans autorisation. On y apprend ainsi que l'industrie culturelle américaine avait fait du lobbying, en toute discrétion, afin que les personnes faisant habituellement du téléchargement sorte du périmètre de l'amende pour retomber dans l'infraction "globale" de contrefaçon:
"U.S. industry had lobbied discretly to ensure that "habitual" copiers were the target of enforcement"
Le cable poursuit sur la question de l'interopérabilité, notamment des fichiers musicaux, que la DADVSI souhaitait mettre en oeuvre, une mesure qui toucherait directement Apple et sa plate-forme Itunes:
"While this provision applies to all online music stores, Apple would undoubtedly be the most affected given its phenomenal market penetration in France"
Finalement, l'Ambassade des Etats-Unis s'en remettait alors au Sénat français dont la compétence était mise en avant :
"While some French National Assembly members have often been caught unaware of the international consequences of their actions, whether debating on the WTO negotiations or on high-tech issues, the Senate has proven a more acute and better-informed observer"

28 avril 2006 : le Gouvernement français tente de donner des gages au Gouvernement américain

Cette dépêche éclaire les relations entre les autorités américaines, les autorités françaises et les industries culturelles américaines. A cette date, la discussion de la DADVSI par le Sénat approche et la possibilité de voir le Sénat faire un retour en arrière complet semble disparaître.

Les acteurs américains, avec l'aide de l'Ambassade, commence à faire le tour des divers interlocuteurs afin d'obtenir des changements notables. Trois sujets sont évoqués : la possibilité offerte par la DADVSI de réaliser une copie privée d'un DVD, le fait de prévoir une peine que de 38 euros en cas de téléchargement (peine jugée non dissuasive par l'industrie culturelle américaine) et l'instauration d'une interopérabilité en matière de distribution de contenus digitaux.

Le cable du 28 avril 2006 est la synthèse d'une discussion entre le DCM (Deputy Chief of Mission, le n°2 de l'Ambassade américaine) et les conseillers du Premier Ministre sur le sujet de la DADVSI.

Sur le sujet de la copie privée et de l'interopérabilité, les équipes de Dominique de Villepin adressent un message de confiance au représentant américain :
"they hoped to "inspire" the Senate to substantially modify two elements that present problems to U.S. (and French) industry: the right to a private copy of a DVD, and the concept of interoperability of portable music players. These changes would, Digne thought, satisfy industry concerns. Digne indicated that Senate staffers were probably less inclined to be political on this technical matter."
En ce qui concerne l'amende de 38 euros, les représentants français expliquent à leurs interlocuteurs que la France n'a ni les moyens, ni intérêt à lancer des poursuites judiciaires à l'encontre des personnes téléchargeant de manière occasionnelle. Ils confirmaient ainsi le souhait de la France de maintenir ce cap :
"France had no resources or interest in pursuing one-time downloaders, which was expensive and counterproductive. Instead, it preferred to go after those who downloaded seriously and distributed; there, the basic fine was somewhat higher at 150 Euros (approximately USD 180)"
La dépêche dévoile notamment la pression exercée par l'Ambassade américaine auprès des autorités françaises notamment en relayant le discours et les positions de l'industrie culturelle américaine :
"Ambassador, DCM and Emboffs had previously both consulted with U.S. industry representatives as well as relayed broad U.S. industry concerns over the bill in private discussions with the Culture Minister, advisors in the Presidency, interlocutors in the Culture Ministry as well as private lawyers"
Et ce n'est pas fini. La dépêche diplomatique appelle à une mobilisation, côte à côte, de l'ambassade américaine et des industries culturelles américaines pour faire pression tant sur les Sénateurs que sur les autorités françaises afin de faire évoluer le texte :
"We have encouraged U.S. industry to be proactive with French government officials and Senators, as many have already done. We have offered our good offices and suggestions to their representatives here and also urged them to make common cause with French industry in order to influence the Senate debate and the text. Embassy thanks Washington agencies' input and focus on this complex issue; Ambassador and Embassy will continue to press the issue privately at the highest level"
La question de la DADVSI devient donc une affaire nationale ... américaine.

12 mai 2006 : le Sénat adopte une version "soft" de la DADVSI

Au lendemain de l'adoption de la DADVSI, l'Ambassade américaine adresse à Washington un "call for action" concernant les suites à donner à l'adoption de la DADVSI. La version adoptée par le Sénat est néanmoins qualifiée de plus douce notamment suite à un allègement de la pression pesant sur l'interopérabilité (qui n'est plus imposée, mais juste un principe).

A ce titre, le cable diplomatique fait passer le message d'un manque d'action de la part d'Apple auprès des parlementaires français :
"Some senators said they regretted that Apple did not appeal to them directly and interpreted it as a lack of interest"
Au final, et même si le texte ne correspond pas à 100% aux attentes de l'industrie culturelle, l'Ambassade américaine fait un bilan plutôt positif de l'ensemble des discussions qui a eu lieu dans les couloirs du Sénat et notamment l'influence, en faveur de l'industrie culturelle, de nombreux acteurs qui ont préféré agir discrètement :
"In our conversations over the last weeks where we raised our serious concerns over the quality and direction of this controversial bill, French government officials and observers had sought to reassure us and other stakeholders. We were told (see reftels) that the Senate version would address many if not most of industry's concerns. Senate legislative staff was thought more pro-business, more technologically savvy, and less ideological. Industry observers, many of whom where involved in a low-profile but intense effort to reshape the bill with key amendments were optimistic as well. Working with French industry allies, they proposed close to 300 amendments"
Et de conclure que dorénavant s'ouvre une période de 6 mois au cours desquels il sera encore possible d'ajuster le tir notamment en intervenant auprès du Gouvernement français dans la préparation des décrets d'application.

28 juin 2006 : La Commission mixte paritaire renforce le principe d'interopérabilité. Inquiétude de l'Ambassade US

A l'issue de l'examen de la DADVSI par la commission mixte paritaire du Parlement, le texte ne se trouve pas profondément remanié. Un sujet inquiète l'Ambassade : le renforcement des dispositifs en faveur de l'interopérabilité des contenus digitaux. Pire, cette mesure semble intéresser les voisins européens comme l'indique la dépêche dès son introduction :
"The compromise text falls short of defining interoperability, but gives inordinate powers to the new regulatory authority set up to enforce the interoperability requirements. It remains to be seen which other countries in the EU will want to follow the French example. Belgium and Denmark have already indicated their enthusiasm for this French precedent"
Face à cette évolution, l'Ambassade américaine s'interroge donc de la compatibilité du texte tant avec la directive européenne, qu'il est sensé transposer, qu'avec les accords internationaux auxquels la France est partie. Sous-entendu : la France devra abandonner ce principe d'interopérabilité s'il ne veut pas violer ces textes.
"The European Commission will have the last word on whether France's transposition is in conformity with the EU Copyright Directive. It is equally unclear whether French implementation of the directive is in accordance with the country's international commitments, including those stemming from the Berne Convention"

2 août 2006 : Censure partielle de la DADVSI par le Conseil constitutionnel

Le 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel rend sa décision concernant la DADVSI et censure quelques dispositions et notamment la création d'une infraction de nature contraventionnelle pour les actes de téléchargement. Ainsi, et l'Ambassade le reconnaît, la décision renforce la protection des titulaires de droits :
"In certain substantive areas, the court's ruling actually is a blow to those who brought the appeal, since it increased protections for rights-holders and raised fines for online infringement, i.e. illegal downloading".
Mais la conclusion qui s'impose à l'Ambassade demeure le rôle que va jouer l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), ce fameux collège de médiateurs qui sera chargé notamment d'avoir à traiter des questions à l'interopérabilité. La charge à l'encontre de l'ARMT est évidente, l'autorité étant qualifiée de "monstre juridique":
"We have been unable to find a single defender of this new regulatory authority. Instead we have a long list of lawyers and industry experts who fear this new "legal monster" with a poorly defined mission but extensive powers".
Surtout, la crainte première évoquée par l'Ambassade est que l'ensemble des questions auquel la DADVSI n'a pas répondu soit, in fine, posé à l'ARMT. Et de conclure que:
"Ultimately, the new regulatory authority will have to take the hard decisions the Government refused to take"

7 septembre 2006 : la MPAA est "ok" avec la DADVSI et recommande de calmer le jeu

Suite à la visite de Dan Glickman, CEO de la MPAA (Motion Picture Association of America) à Paris et de sa rencontre avec le Ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, l'Ambassade américaine adresse à Washington un nouveau télégramme.

Notamment, le patron de la MPAA explique que le texte français de la DADVSI lui paraît acceptable et indique que l'industrie américaine pourra vivre avec :
"Glickman said for the U.S. film industry the text of the law is "livable" but that the larger concern is the political drive and popular support that still exists in Europe to take further steps on property rights issues counter to U.S. interests"
Mais surtout, la perspective des élections présidentielles de 2007 l'encourage à plus de méfiance et surtout à ne pas relancer le débat sur ce texte d'ici là :
"MPAA believes now is not the time to aggressively attack the French position as this will likely stir up a divisive debate that could become a political issue in the run up to France's presidential elections next spring. Glickman also pointed out that over 60 percent of revenue for the U.S. film industry comes from Europe. Glickman believes the USG should continue to "come down on the side of property rights" in our discussions with the French, but recognizes that the way content is delivered is in constant evolution and we need "to thread a needle" on this issue."
Mais un sujet demeure : l'interopérabilité et le rôle de l'ARMT. La MPAA le précise : ce sujet l'impact moins et c'est plus un dossier pour Apple et le BSA (Business Software Association). L'Ambassade relève le point en conclusion :
"Embassy appreciates that other sectors of the industry are less sanguine about the law than MPAA. Representatives of digital rights management systems in particular remain concerned about mandated interoperability requirements"

16 octobre 2006 - Discussions entre l'Ambassade US et les autorités françaises sur la mise en place de l'ARMT

La dépêche fait le point sur les diverses réunions tenues entre l'Ambassade américaine et les représentants du Ministère de la Culture, du Ministère de l'industrie et du Ministère des affaires étrangères. Un seul sujet : le calendrier de mise en place de l'ARMT et les pouvoirs qui lui seraient attribués.

Le Ministère de la Culture indique ainsi que le décret devrait paraître d'ici la mi-novembre pour une mise en place de l'ARMT d'ici la fin de l'année 2006. D'autres experts rencontrés par l'Ambassade évoque plutôt une mise en place de l'ARMT au cours de l'année 2007, tout en tenant compte du fait que les élections présidentielles pourraient perturber le calendrier.

Au final, l'ensemble des interlocuteurs rencontrés par les représentants américains ne ferme pas la porte aux échanges et invite l'Ambassade et plus généralement l'industrie culturelle américaine à participer aux travaux préparatoires à la mise en place de l'ARMT:
"All of our interlocutors welcomed U.S. comments and input (particularly from U.S. industry) concerning the new Authority during the short time remaining prior to issuance of the planned decree"

1er décembre 2006 : les Etats-Unis font pression pour que le Gouvernement français suive leurs recommandations

En vue de la préparation du décret qui fixera les compétences et les missions de l'ARMT, l'Ambassade des Etats-Unis a poursuivi son lobbying notamment au travers de nombreuses réunions avec le Ministère de la Culture, le Ministère de l'Economie et les équipes de l'Elysée. En complément, l'Ambassade a ajusté ses messages délivrés avec les représentants du BSA :
"Embassy officers delivered Ref A demarche on the draft implementing decree of France's copyright law to Ministry of Culture cabinet advisor Marc Herubel on November 28, and to Trade Minister Lagarde's EU adviser, Eric Peters on November. Additional meetings are scheduled with President Chirac's staff and with the Industry Minister's Legal Adviser. We also briefed representatives of the Business Software Alliance (BSA) November 27"
La dépêche décrit ensuite les points sur lesquels le Ministère de la Culture invitait l'Ambassade à contribuer et notamment à proposer des formulations sur divers points (compensation économique, principes permettant de déterminer si les mesures de protection technique sont efficaces, etc.)

En parallèle et en lien avec les industries culturelles américaines, la carte bruxelloise est également jouée afin d'avoir une pression complémentaire qui puisse s'exercer sur les autorités françaises.

12 avril 2007 - création de l'ARMT

La dépêche décrit la mise en place de l'Autorité des mesures de protection technique par Renaud Donnedieu de Vabres. Avant immédiatement de se poser une question : cette autorité survivra-t-elle à l'élection présidentielle de 2007 ?

En effet, pour l'ambassade :
"Presidential contenders Nicolas Sarkozy (leading Center-right UMP Party), Segolene Royal (Socialist Party) and Francois Bayrou (Center) have all pledged to take another look at France's implementation of the May 2001 EU Copyright Directive. They all dislike aspects of the current law, but it is not clear whether they would do away with the new authority, maintain it as is, blend it into another regulatory body or just give it different powers. Sarkozy thinks there are too many regulators in new technologies, while advisors to Royal appear strongly sympathetic to the open source movement and may be disposed towards regulations that encourage movement in that direction"
Finalement, la suite, nous la connaissons. Nicolas Sarkozy sera élu Président de la République. Malgré son souhait, indiqué par l'Ambassade américaine, de réduire le nombre d'autorités de régulation dans le secteur des nouvelles technologies, l'ARMT ne sera pas supprimée. Elle sera totalement refondue et remplacée par une nouvelle autorité : l'HADOPI.

dimanche 28 août 2011

Le numérique français va-t-il mourir d'une seconde "balle perdue" ?

"Balle perdue". Tel était le terme utilisé par le Président de la République lors de l'installation du Conseil national du numérique à propos d'une réforme adoptée par le Parlement d'un statut d'exonérations fiscales et sociales au profit (ou détriment plutôt) des "Jeunes entreprises innovantes" (JEI).

Drive by shooting  (Henry Rollins Band)
Source : bushpig [goph51] sur Flickr (CC)

Le soutien à l'innovation, une nécessité en période de crise

On ne le répète jamais assez, l'innovation demeure une nécessité quasi-vitale pour toutes les entreprises, petites ou grandes. C'est au travers de cette innovation, de la mise en musique de l'intelligence collective provenant de la masse des salariés impliqués dans un projet d'entreprise, que ladite entreprise est capable de se développer, conquérir un marché, gagner des parts de marché et créer de la valeur.

Une grande partie de l'innovation ne repose pas forcément que sur des idées. Elle repose surtout, et principalement, sur la recherche et le développement, la fameuse R&D. Seulement, l'entreprise et la R&D ne sont pas a priori deux êtres faits pour s'entendre. Car la R&D n'est pas rentable - à court terme - pour l'entreprise et nécessite des investissements importants tant sur le plan technologique que sur le plan salarial. Cette contrainte économique se ressent principalement dans les PMEs, qui sont pourtant les viviers de l'innovation en France.

Il faut donc financer cette innovation qui, in fine, bénéficiera à l'ensemble de la collectivité et pas seulement à l'entreprise qui en aura été à l'origine. Une innovation en entraîne une nouvelle et ainsi de suite. Classiquement, dans le secteur du numérique, la première source de financement demeure le marché des capitaux. Or, ceux-ci sont souvent inefficaces car encore trop de "capital risques" ne souhaitent justement pas prendre de risques financiers et préfèrent non pas amorcer l'innovation mais investir une fois l'innovation lancée, créée.

Pire, actuellement, nous sommes dans une période dite de "crise" ou d'incertitudes. On assiste à un ralentissement économique. Les entreprises sont donc attentives à cela et face à une diminution des revenus, et une réduction des marges existantes, face à l'absence de visibilité sur "que sera le marché demain", les premières coupes financières - ou gels - interviennent dans une matière : l'innovation et la R&D. On préfère se replier sur ses valeurs sûres que tenter le diable en se lançant dans des tests ou des développements coûteux à l'avenir incertain.

Ainsi, l'innovation permet de créer un cercle vertueux. Elle offre aux entreprises une possibilité de se développer et de créer de la valeur. Lorsqu'elle a lieu sur notre territoire, elle permet également à la France d'améliorer son indépendance, technologique, et de renforcer ses filières technologiques. Et surtout, l'innovation permet une chose formidable : elle est la seule porte d'accès au futur.

Et donc effectivement, l'accès à l'innovation a un coût que les premiers créateurs de valeur ne sont pas forcément en mesure de financer. C'est la raison pour laquelle une forte demande est apparue afin de créer des régimes fiscaux et sociaux aménagés, voire des exonérations, afin que l'Etat soutienne, amorce le développement de ces entreprises avant que les autres modes de financement (auto-financement, capital risque) ne prennent le relai.

Deux statuts existent. Enfin, soyons polémique, existaient pour le beau secteur de l'internet. Le statut des JEIs et le CIR (pour crédit impôt recherche).

JEI: de la jeune entreprise innovante à la jeune entreprise inerte

Nulle volonté pour moi de rentrer dans des explications fiscales longues et sans fin. Mais donnons, juste, légèrement, un cadre de réflexion. Avant le mois de décembre 2010, le statut dit JEI permettait aux entreprises de moins de 8 ans de bénéficier d'exonérations fiscales et de charges sociales à condition qu'elles engagent des dépenses de recherche et développement représentant au moins 15% de leurs charges.

Ainsi, jusqu'à sa 8e année (et ceci, peu importe qu'elle entre dans le dispositif dès sa création ou au bout de 7 années), la PME pouvait bénéficier d'exonérations sociales sur ces charges salariales liées aux dépenses de R&D.

En 2009, le statut de JEI avait permis d'accorder 130 millions d'euros d'exonérations de charges sociales et 18 millions d'euros d'exonérations fiscales. 84% des bénéficiaires étaient des PMEs offrant des services aux entreprises, dont 50% dans le secteur informatique.

Seulement, l'article 175 de la loi du 29 décembre 2010 portant loi de finances pour 2011 est venu intégrer un certain nombre de limitations au bénéfice du statut de JEI. Tout d'abord, la loi a instauré divers plafonnements. Mais surtout, à ces plafonds ont été associés une dégressivité des exonérations de charges sociales. 100% les 4 premières années, 75%, 50%, 30% et enfin 10% la dernière et 8e année.

En quoi ce changement a des conséquences sur les PMEs ? Prenons un exemple. Vous êtes chef d'entreprise et vous venez depuis 3 ou 4 ans de créer une entreprise. Au gré de vos réflexions avec vos équipes, vous avez une idée afin de lancer une innovation majeure. Les banques rechignent à vous prêter de l'argent. Et vous découvrez le mécanisme de JEI qui vous permet d'avoir une exonération d'une partie de vos cotisations sociales pour développer cette innovation. Donc, misant sur cet avantage, vous vous lancez. Vous recrutez. Et au bout de deux ans, au moment le plus critique pour vous, au moment où votre développement commence à prendre forme, la loi change. Le 31 décembre, vous apprenez que le 1er janvier, là où vous aviez 100% d'exonération fiscale sur les charges salariales de vos développeurs, vous n'avez plus qu'une exonération de 30%. Mais en face, vous n'avez pas plus de revenus. Que faites-vous ? Simple, vous compressez vos effectifs. Vous ralentissez le tempo de vos développements techniques.

Une étude menée l'AFDEL et le SNJV, publiée en mai 2011, indiquait que suite à la modification du dispositif JEI, 80% des entreprises avaient indiqué réduire leurs investissements en R&D, 54% des entreprises avaient déjà limité leurs recrutements liés aux activités de R&D et 17% avaient même licencié.

Et derrière ces chiffres, une réalité. Un entrepreneur se confiait récemment dans Ouest-France : "J'ai été obligé de stopper net mes embauches et de réduire des frais. Alors que notre croissance continue à s'emballer. Un comble"

Ces conséquences avaient poussé le chef de l'Etat à faire un mea culpa, qualifiant la modification intervenue à la fin de l'année 2010 de "balle perdue". Mais une balle qui continue à faire des dégâts. On aurait alors pu imaginer que les effets néfastes soient corrigés rapidement.

Panser les plaies causées par une balle perdue

Des tentatives ont bien eu lieu de la part de parlementaires à la fois dans le projet de loi de finances rectificative pour 2011 que du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Débattus au cours de l'été, l'ensemble des amendements destinés à corriger le tir ont été systématiquement repoussés par le Ministère du Budget.

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Source : nebarnix sur Flickr (CC)

De son côté, Eric Besson avait indiqué à la Tribune le 3 juin 2011, "J'ai demandé au Premier ministre la réouverture du dossier JEI. Soit pour revenir au dispositif antérieur, soit pour déterminer une configuration mieux adaptée. Je n'ai pas encore reçu l'arbitrage du Premier ministre". On aurait pu imaginer que cette mesure soit inscrite dans le texte discuté au début de l'été 2011. Mais à l'occasion d'un t'chat organisé par le Journal du Net, le Ministre en charge de l'économie numérique repoussait une refonte à l'occasion du projet de loi de finances pour 2012.

Seulement, et comme le rappelait François Momboisse, Vice-Président du Conseil national du numérique, "l'établissement du budget 2012 sera très compliqué. De plus, en pleine période électorale, les députés seront saisis d'une foule d'amendements. C'est maintenant qu'il faut agi".

Et depuis le mois de juin, la crise est passée par là. On parle de limiter les niches fiscales et finalement de procéder à de nombreuses économies. Aujourd'hui, il faut sans doute ne pas se cacher la face. La refonte du statut du JEI n'interviendra - sans doute - pas à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2012.

L'un des signes est une déclaration faite par Eric Besson lors d'un déplacement à Marseille le 26 août 2011, propos repris par la Provence : Le Crédit d'Impôt Recherche ""sera scrupuleusement maintenu", a-t-il indiqué, précisant que le Premier ministre l'avait expressément autorisé à rendre publique la bonne nouvelle". Aucun mot sur le JEI.

Le statut de JEI a donc sans doute été sacrifié au profit du statut du maintien du crédit impôt recherche.

Les JEI à l'assaut du Crédit Impôt Recherche ?

Telle pourrait être la conclusion de cette histoire. A défaut de pouvoir bénéficier de l'ancien statut de JEI, les PMEs pourraient se diriger vers le CIR ? Seulement, le dispositif n'est pas équivalent. Le CIR est un mécanisme de crédit d'impôt (c'est à dire une réduction d'impôt). Bien souvent les JEIs sont en déficit fiscal. En conséquence, le crédit d'impôt n'a aucun impact. Néanmoins, depuis quelques années, il est possible aux entreprises d'obtenir le remboursement anticipé dudit crédit d'impôt. Mais celui-ci ne peut intervenir que l'année suivante (en 2012, sera remboursé le crédit d'impôt généré sur la R&D effectuée en 2011). En outre, aucune exonérations sociales n'est prévue par le dispositif.

De son côté, le Ministère du Budget a tenté de rassurer les entreprises. Dans une note, il indiquait que "depuis la création du dispositif JEI en 2004, le CIR a été rendu plus généreux".

En clair : les pertes liées à la modification du régime de JEI peuvent être compensées par le recours au CIR. Rares, hélas, sont ceux convaincus par ce raisonnement.

En effet, le point critique demeure les cotisations sociales, c'est à dire les charges payées par les entreprises pour l'emploi des personnes qui assureront le développement des diverses innovations. Elles sont moins attirées par un avantage fiscal qui ne permettra pas pleinement d'assurer le fonds d'amorçage dont elles ont besoin.

Soit. Mais ce n'était sans compter sur une deuxième "balle perdue". Enfin, à venir du moins. Car cette seconde balle a été placée au cours de l'été dans le canon de l'arme.

"Balle perdue 2.0", les acteurs du net bientôt interdits de Crédit Impôt Recherche ?

Telle est la question que l'on peut se poser en consultant un projet d'instruction fiscale. En effet, Valérie Pécresse, Ministre du Budget, a présenté le 24 août 2011 en Conseil des ministres une communication sur le crédit impôt recherche. Cette mesure représente l'une des premières engagées par l'Etat et coûte plus de 4 milliards d'euros par an (contre moins de 150 millions d'euros pour le JEI).

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Source : nebarnix sur Flickr (CC)

La communication se finissait par ce paragraphe : "Il importe désormais de garantir la stabilité du CIR et de renforcer la sécurité juridique des entreprises utilisatrices. A cet égard, un projet d’instruction fiscale portant sur la définition des opérations de R&D est actuellement soumis à la consultation publique et sera publié rapidement".

En effet, le 24 août 2011, étaient publiés les détails de la consultation publique sur la définition des opérations de recherche et de développement. Premier problème : la deadline pour adresser les réponses était fixée au 1er septembre 2011. 7 jours pour répondre. A ce sujet, le Cabinet d'Eric Besson a indiqué via Twitter qu'il contacterait son homologue du budget afin que les acteurs obtiennent une rallonge sur les délais de réponse.

Ainsi, un projet d'instruction fiscale décrivant les opérations dites de recherche et développement permettant d'entrer dans le champ du CIR est diffusé. Le texte y décrit les diverses formes de recherches susceptibles de bénéficier du CIR.

Un exemple ? Les Banques et autres systèmes financiers. Ceux-ci bénéficient du CIR (il se murmure même que le montant versé aux Banques est supérieur au budget total du statut de JEI) et l'instruction fiscale en donne un exemple : "La mise au point d’un logiciel ou service de gestion des risques basé sur un nouvel algorithme financier relève du développement expérimental". Une mauvaise langue pourrait s'interroger sur le bénéfice pour la collectivité de ces innovations et le retour sur investissement entre CIR distribué aux banques et la pertinence des outils de "gestion des risques" développés ces dernières années.

Plus loin, l'instruction à ses paragraphes 51 à 53 donne des exemples d'investissements et de dépenses qui ne peuvent pas entrer dans le champ de la R&D au sens du crédit impôt recherche. On y trouve :
"51. Le développement de projets classiques pouvant être réalisés par l'homme de métier en utilisant des procédés et techniques en vigueur dans la profession ne donne pas lieu à des travaux de R&D. D'une manière générale, toute réalisation qui ne présente pas d'originalité particulière par rapport au savoir-faire de la profession ne relève pas de la R&D.
52. Il découle de la définition des activités de R&D que celles-ci ne recouvrent généralement pas les travaux visant à accroître la productivité, la fiabilité, l'ergonomie ou, en matière informatique, la portabilité ou l'adaptabilité des logiciels de base et applicatifs. De même, d’une manière générale, la mise à disposition et le suivi du produit ou du service chez l'utilisateur ne sont pas considérés comme des opérations relevant d'activités de R&D et ne sont pas éligibles.
53. La conception d'un système qui ne ferait qu'adapter une méthode, des moyens ou des composants préexistants à un cas spécifique et qui ne soulèverait pas de problèmes techniques nouveaux, ne peut être assimilée à une opération de R&D. Cela reste vrai même si l’utilisation du nouveau système constitue un progrès. Cela s’applique par ailleurs à tous les domaines d’activité, y compris par exemple celui relatif aux logiciels".
Et là, un frisson peut parcourir l'assistance. Car effectivement, la liste des exclusions risque fort de viser un grand nombre des métiers du Web, de cette économie numérique que l'on cherche tant à soutenir et à développer. Une entreprise informatique qui, sans cesse, adapterait des logiciels libres ne ferait pas de recherche et développement ?

Après avoir perdu une partie de son JEI, est-ce que l'Internet Français va également perdre tout ou partie de son CIR ? Et donc, comment l'innovation va continuer à perdurer en France dans le secteur du numérique ? La France a besoin de champions de l'économie numérique, mais si l'instruction était adoptée telle qu'elle, combien seront encore capables de financer leur innovation, de financer leur développement ?

Un goût amer demeure. A un moment, où la France s'engage dans une logique d'austérité, devons-nous couper les vivres aux PMEs innovantes et pérenniser des exonérations fiscales au profit de grandes entreprises dégageant d'importants bénéfices ? L'équité fiscale devrait plutôt s'engager dans la voie d'une réorientation des soutiens publics à l'innovation et privilégier, en priorité, toutes les PMEs.

Finalement, deux conclusions. La première se voudra optimiste, la seconde moins. On peut imaginer que les diverses fédérations professionnels et acteurs qui se sont mobilisés pour une défense du statut de JEI fassent entendre de leur voix afin que l'instruction fiscale n'ait pas pour effet de laisser au bord du chemin un grand nombre d'acteurs de l'internet.

Sinon ? L'Internet ne pourra que compter les balles perdues, les unes après les autres. Une fois le chargeur vidé, il ne lui restera qu'à panser ses plaies et compter ses morts.

samedi 27 août 2011

La taxe sur les sodas, une mesure qui fera pschitt ?

Parmi le train de mesures d'austérité annoncé par le Premier ministre François Fillon le 24 août 2011, une nouvelle taxe a commencé à défrayer la chronique. La taxe dite "sodas". Dans la fiche de présentation de la mesure, le Gouvernement estime qu'il est "nécessaire de freiner le développement de l’obésité qui fragilise la santé des personnes concernées et qui représentera à terme un coût important pour la sécurité sociale".

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Source : Lawrence Whittemore sur flickr (CC)

Dans ces conditions, la mesure souhaite taxer les boissons sucrées afin de réduire leur consommation. Juridiquement, cette taxe consistera en "une accise spécifique sur les boissons sucrées dont le taux sera aligné sur celui du vin". Selon les estimations de Bercy, elle devrait rapporter 120 millions d'euros.

A noter qu'elle n'aura pas vocation à s'appliquer aux "eaux, les jus de fruit (sans sucres ajoutés) et les produits contenant des édulcorants". Ainsi, Coca Light, Coca Zéro et Pepsi Max seront exclus du champ de ladite taxe.

Cette mesure a entraîné une réaction, plus que réservée, de la part du lobby de l'industrie alimentaire - ANIA en tête. L'Association nationale des industries agroalimentaires considère la mesure comme "scandaleuse" et "illogique".

A ce titre, un rapport d'information de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPES) en date du 5 octobre 2005 avait plutôt invité les pouvoirs publics à subventionner les produits à faible densité énergétique et forte valeur diététique plutôt que d'instaurer une "fat tax". Les parlementaires estimaient que "Ce mécanisme semble en effet plus efficace que le système consistant à taxer plus fortement les produits caloriques (la « fat tax ») et qui, au final, pénalise les acheteurs plus défavorisés".

Ils s'appuyaient notamment sur un rapport de l'INSERM qui concluait, à propos d'une taxation des produits gras ou sucrés, que "l'ensemble des effets potentiels est difficile à évaluer compte tenu du nombre très élevé de substituts à la disposition des consommateurs, et, pour la même raison, il est probable que des taxes sur un nombre restreint de produits auront des effets limités sur la prévalence de l'obésité".

Par la suite, un rapport de 2008 de l'IGAS et de l'IGF avaient fait diverses propositions au Gouvernement afin de taxer les boissons sucrées, de relever les taxes sur l'alcool voire la TVA sur certains produits. Face à une opposition des associations de consommateurs, le Gouvernement d'alors avait violemment taclé le rapport des deux administrations estimant que "Ce n'est pas un rapport de gouvernement. Cela reste un rapport d'experts, qui n'a aucune valeur de proposition, ni de fait établi".

Ainsi, l'idée d'une taxe sur les produits enrichis, et donc les sodas, n'est pas nouvelle. Ses effets sur la lutte contre l'obésité sont, au contraire, discutés. Or, s'il s'agit de financer des campagnes d'information, il faut garder à l'esprit que l'idée d'une taxe destiné à financer les programmes nutritionnels français et notamment le PNNS (Programme National Nutrition Santé) n'est pas nouvelle et pire .. existe déjà tout en étant contournée.

La taxe nutrition sur les messages publicitaires ...

Il faut pour cela remonter à l'année 2003 et à la discussion au Parlement du projet de loi relative à la politique de santé publique. A l'occasion de son examen en première lecture par le Sénat, la Chambre Haute vote, dans une logique de lutte contre l'obésité, un amendement ainsi rédigé :
"Toute publicité télévisuelle en faveur de produits alimentaires dans des programmes destinés à la jeunesse doit être assortie d'un message de caractère sanitaire rappelant les principes d'éducation diététique - diversité, modération - agréés par l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé.
A défaut, l'annonceur devra financer un temps de passage équivalent sur la même chaîne et dans les mêmes conditions horaires pour la diffusion d'un message d'information sanitaire sur la nutrition réalisé sous la responsabilité de l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé."

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Source : Alone de Kerekes Janos Csongor sur Flickr (CC)

La logique ici posée par les parlementaires, malgré l'avis défavorable du Gouvernement, est simple : chaque annonceur faisant la promotion de produits alimentaires doit insérer une mention "sanitaire" ou, à défaut, financer un spot publicitaire à caractère sanitaire.

Lors de l'examen à l'Assemblée nationale du texte, les députés vont plus loin. Pour eux :

"Tout annonceur d'une publicité télévisuelle pour des aliments, dont la composition nutritionnelle est susceptible de nuire à la santé des enfants ou des adolescents en cas de consommation excessive, doit financer la réalisation et la diffusion d'un message d'information nutritionnelle. Ce message est diffusé sur la même chaîne de télévision, dans les mêmes conditions d'horaires que le message publicitaire. Les différents annonceurs concernés peuvent, le cas échéant, se regrouper pour réaliser et diffuser un message d'information nutritionnelle commun."
Ainsi, pour les députés, le principe posé est celui d'une taxation des annonceurs, taxe destinée à financer les opérations de communication menées par l'INPES. Seulement, lors de l'examen au Sénat du texte, une version amendée (et qui deviendra la version définitive) est adoptée :
"Les messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d'édulcorants de synthèse et de produits alimentaires manufacturés, émis et diffusés à partir du territoire français et reçus sur ce territoire, doivent contenir une information à caractère sanitaire. La même obligation d'information s'impose aux actions de promotion de ces boissons et produits.
Les annonceurs peuvent déroger à cette obligation sous réserve du versement d'une contribution au profit de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Cette contribution est destinée à financer la réalisation et la diffusion d'actions d'information et d'éducation nutritionnelles, notamment dans les médias concernés ainsi qu'au travers d'actions locales."
Ainsi, les annonceurs sont dans l'obligation d'insérer des mentions sanitaires dans le cadre de leur communication. A défaut, ils devront s'acquitter d'une taxe d'un montant de 1,5% des sommes payées par les annonceurs aux régies. La loi est définitivement publiée le 11 août 2004. Le dispositif (figurant à l'article L.2133-1 du Code de santé publique) est par la suite modifié à plusieurs reprises afin de préciser la manière dont la contribution financière est perçue. Un dernier alinéa est néanmoins inséré à la fin de l'année 2004 imposant que cette mesure entre en vigueur "au plus tard le 1er janvier 2006".

Finalement, il faudra attendre un arrêté du 27 février 2007, publié au Journal officiel du 28 février 2007, pour compléter le cadre juridique et notamment fixer les mentions obligatoires et leur format (voir le guide de l'UDA).

Mais qui ne rapporte que quelques centaines de milliers d'euros

C'est donc, non pas le 1er janvier 2006, mais seulement le 1er mars 2007 que le dispositif entre en vigueur. Celui-ci a-t-il permis finalement à l'INPES de toucher un peu d'argent pour financer ses opérations de communication ?

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Source : m.a.r.c sur Flickr (cc)

Si l'on se penche dans les délibérations du Conseil d'administration de l'INPES, il est possible au travers de l'analyse des budgets primitifs et des comptes financiers d'évaluer ce que l'INPES attendait recevoir au titre de la "taxe nutrition" et le réel.


Ainsi, alors que l'INPES avait budgété 3.000.000€ de recettes en 2008 au titre de la taxe nutrition (avant de diviser par 10 cette estimation les années suivantes), c'est au total un peu plus de 1,5 millions d'€ qui ont été perçus par l'INPES au cours de ces 3 dernières années au titre de la taxe nutrition.

On est loin des budgets consacrés par l'INPES au titre de ses programmes d'information. Pour la seule année 2011, l'INPES a ainsi prévu d'engager près de 88 millions d'€ en campagnes diverses.

Finalement, ces montants relativement faibles proviennent-ils d'une baisse considérable des investissements publicitaires dans le secteur alimentaire ? A priori, non. Les chiffres publiés chaque année par l'Union des annonceurs montrent plutôt une croissance du montant des investissements médias dans le secteur de l'alimentation.


Ainsi, ce montant est passé de 1,8 milliards d'euros en 2008 à 2,4 milliards d'euros en 2010. Si la contribution financière avait été acquittée pour chaque publicité, l'INPES aurait pu obtenir environ 30 millions d'euros par an.

L'explication n'est donc pas à aller chercher au niveau des dépenses publicitaires. Mais plutôt dans l'option offerte par le Code de la santé publique. En effet, la contribution financière n'est due que si l'annonceur n'appose pas les messages sanitaires. Est-ce à dire que tous les annonceurs ont choisi la même voie. La réponse se trouve, notamment, dans une des lettres de l'ANIA adressée à ses membres. Réagissant à la publication de la loi, l'ANIA adressait ainsi ses recommandations :
"Afin de ne pas cautionner l’idée de taxation et de démontrer que l’industrie privilégie des mesures d’information et d’éducation, l’ANIA recommande aux entreprises d’apposer les messages sanitaires plutôt que de payer la taxe". CQFD.

Les résultats montrent que lesdites entreprises ont suivi ces consignes et ont préféré afficher les messages sanitaires plutôt que de reverser une contribution financière à l'INPES. A ce stade, aucune étude publiée n'a permis d'identifier l'impact (positif ou non) de ces messages sanitaires sur la santé des Français. Mais sans doute que cet impact devrait diminuer voire s'estomper avec le temps. L'une des mesures - toute relative bien évidemment - est par exemple une analyse de la "Trend" du site MangerBouger.fr (qui figure dans quasiment toutes les mentions sanitaires) sur Google Trends. Mis à part un pic en 2009, la courbe décroît progressivement.

A noter qu'aujourd'hui, et en application de l'article L. 137-24 du Code de la sécurité sociale (issu de la loi du 12 mai 2010 sur l'ouverture à la concurrence du secteur des jeux d'argent en ligne), l'INPES reçoit de la part des opérateurs de paris sportifs et autres casinos en ligne une contribution financière. Son montant s'est élevé à 4,4 millions d'euros pour la seule année 2010 (alors que l'ouverture a été effective avant l'été 2010). Elle devrait rapporter 5 millions d'euros en 2011 à l'INPES, soit le plafond fixé par la loi.

Donc, taxer les boissons sucrées en faveur de la lutte contre l'obésité. Sans doute une riche idée, mais qui repose sur le consommateur. Plutôt faudrait-il aussi évaluer le dispositif mis en oeuvre en 2007 et savoir si la contribution des annonceurs à la diffusion du message sanitaire doit continuer à passer par l'intermédiaire d'un simple message sanitaire ou, à terme, prendre la forme d'une participation financière plus systématique.

dimanche 21 août 2011

Pourquoi certains veulent en finir avec l'internet illimité ?

L'information a été divulguée (on peut le dire) avec fracas en un vendredi trop calme. Le site Owni.fr dévoilait un document de travail de la Fédération française des télécommunications et communications électroniques (FFTCE) relatif à l'amélioration de l'information et de la transparence vis-à-vis du consommateur. Ce document avait pour but de répondre à la difficulté que l'on rencontre aujourd'hui d'une commercialisation d'offres internet mobile "illimitées" qui dans les faits font l'objet de diverses restrictions et/ou limitations aux fins de gérer la congestion des réseaux.

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Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Mais l'article d'Owni.fr se focalise sur un point particulier de ce document. La dernière page. Dans le domaine du droit (et plus généralement des affaires réglementaires), nous avons tous les mêmes réflexes : passer à la loupe les notes de bas de page et les annexes. Car c'est souvent dans ces parties là que les choses les plus croustillantes ou intéressantes, les pépites peuvent apparaître.

En fait cette dernière page donne une lecture qui entre les lignes n'est pas si neutre que ça : la fin de l'internet illimité, que ce soit sur le mobile (bon, cela est déjà le cas) mais aussi sur le fixe. La raison ? La saturation des réseaux.

L'institution d'un internet à deux vitesses n'est pas nouvelle. L'argument est apparu à plusieurs reprises dans tous les débats autour de la neutralité de l'internet. Quel lien ici ? Finalement, l'internet est un réseau avec ses interdépendances et tous les sujets liés à l'internet sont dépendants les uns des autres. On va essayer de décrypter ensemble au moins une partie de la pelote que l'on a réussi à constituer en France ? C'est parti même si, au regard de la nature technique de la problématique, il sera difficile d'entrer dans tous les détails.

La saturation des réseaux ? Info ou intox

Actuellement, une grande partie des observateurs s'accorde sur une chose : la saturation des réseaux mobiles semble être une réalité en France. Avec le développement des smartphones, des clés 3G, des tablettes tactiles, etc., le nombre de connexion "data" (et non plus voix) sur les réseaux mobiles tend à augmenter progressivement.

Internet Access Here Sign
Source : Steve Rhode sur Flickr (cc)

Même si les opérateurs ont vendu des offres illimités pour l'internet mobile, ceux-ci ont quasiment tous institués des systèmes de réduction du débit afin de pouvoir gérer la congestion de ses réseaux. Ainsi, qui n'a pas reçu - par exemple après avoir téléchargé quelques fichiers musicaux sur son téléphone - un SMS de son opérateur expliquant que le quota avait été dépassé et que le débit serait donc réduit jusqu'à la prochaine facture.

Cette acceptation, de fait, d'une part de la congestion du réseau mobile et, d'autre part, du besoin de l'opérateur de gérer cette congestion fait que le débat se focalise aujourd'hui sur le terrain juridico-marketing : peut-on encore appeler les offres Internet Mobile des offres "illimitées" ? Les opérateurs le demandent (comme il est possible de le lire dans le document divulgué par Owni). Les associations de consommateurs sont plus réticentes à l'usage du terme "illimité" voire du terme "Internet" qui en lui même laisserait entendre un accès à l'ensemble des services et protocole offerts par le réseau mondial.

Ainsi, si demain des opérateurs mobiles décident de bloquer certains usages (peer-to-peer, voix sur IP, vidéo, etc.) sur leurs offres, pourra-t-on encore appeler cela de l'internet ?

Qu'en est-il de l'internet fixe ? Ou plutôt, celui que vous recevez à votre domicile (même par le Wi-fi). Oui, cet internet qui passe par votre prise téléphonique. La saturation existe-t-elle ou pas ? A cette question, deux réponses.

La première est apportée par les opérateurs eux-mêmes. Et elle est positive. Il y a saturation du réseau et en conséquence, on est obligé de modifier profondément les abonnements existants. Selon le représentant de la FFTCE, on a même des "net goinfres" : "5% d’internautes mobilisent par leurs excès 80% de la bande passante. Il faut rendre les gens responsables afin que chacun ait un accès égal à Internet".

Mais contrairement aux réseaux mobiles, l'argument ici ne convainc pas tous les observateurs. Nombreux sont ceux à penser que le réseau ne connaît aucune saturation et qu'au contraire avec le développement des systèmes de "délestement" (comme les CDN pour "content delivery network") ou les accords qui peuvent être conclus entre les opérateurs et fournisseurs de contenus (accords dits de peering ou de transit), le réseau actuel serait capable de supporter la charge. Problème, aucune étude ou analyse n'est à ce jour disponible.

Et donc le débat se focalise entre les deux camps. Les uns contestant les arguments des autres.

De là, commence un autre enjeu : les intérêts de chaque acteur et notamment, comment on est capable de les concilier ou du moins de convaincre certains de pencher dans un sens ou dans un autre ? A ce stade, on ne peut donner qu'un rapide aperçu.

Feux, contre feux, arguments, contre-arguments

Côté opérateurs, quels sont les enjeux ? Ils ont aujourd'hui plusieurs éléments à gérer :

- gérer leur réseau, l'évolution des modes de consommation et surtout son accroissement par l'effet de l'augmentation du nombre d'internautes et du développement de contenus attractifs (musiques, vidéos, films, etc.) ;

- développer de nouveaux réseaux et notamment la fibre et plus généralement toutes les technologies très haut débit. Sur ce point, ils ont plusieurs contraintes : une contrainte concurrentielle (voir les guerres qui ont lieu actuellement sur la question du fibrage des immeubles en copropriété) mais aussi une contrainte politique : le haut débit ou le très haut débit pour tous est devenu un enjeu politique et un argument politique, tous partis confondus. Problème, aux termes "pour tous", sont souvent associés les mots "pas trop cher". En clair, un accès à la fibre optique pour tous dans les grandes communes et si possible pas trop cher, c'est à dire à un prix équivalent à un accès haut débit. Or, l'équation économique devient difficile.

Perú > Lima
Source : antifluor sur Flickr (cc)

Ainsi, face à ces pressions, les opérateurs se tournent dans un premier temps vers d'autres acteurs : les fournisseurs de contenus, ces grands acteurs internationaux (mais aussi nationaux) qui, pour caricaturer le discours à l'extrême, seraient des parasites, profitant du réseau pour en tirer des revenus sans reverser aucune contribution financière aux opérateurs.

Bon, la situation est simplifiée à l'extrême. Mais donc, les opérateurs se sont tournés vers les Google, Skype, Dailymotion, etc. et, aussi vers le monde politique, en expliquant : ces acteurs utilisent notre réseau, ce réseau payé par les contribuables (bon, et les consommateurs, mais des fois, cet argument disparaît. Pas grave). Donc, ces acteurs utilisent le réseau mais ne contribuent pas à son développement. Pire, certains ne paieraient aucun impôt sur les bénéfices réalisés sur le territoire français (et là, on comprend comment la taxe Google a dévié en une taxe sur l'usage des réseaux).

De son côté, les fournisseurs de contenus rappellent plusieurs choses. Déjà, ils payent de la bande passante, ils investissent dans l'achat de trafic au travers d'accords conclus avec les opérateurs ou par l'intermédiaire de CDN, ils investissent dans de la R&D afin d'améliorer la compression des images (et donc désaturer le réseau), etc.

L'équation économique ne serait donc pas aussi déséquilibrée.

Seulement, ces fournisseurs gagnent de l'argent grâce aux opérateurs ! C'est vrai, comme tout acteur de l'internet (bah vi, sans opérateur, pas d'internet, donc pas de boîte internet). Mais surtout, on peut rétorquer l'inverse. Sans ces fournisseurs de contenus, l'internet (et les offres haut débit) serait-il aussi attractif pour l'ensemble des consommateurs ? Dès lors que les opérateurs utilisent régulièrement les marques de ces fournisseurs de contenus dans leurs publicités, ne doit-on pas en déduire que ces fournisseurs leur permettent d'accroître leur clientèle. Et de là, finalement en réplique, le fournisseur de contenu en vient à s'interroger s'il ne faudrait pas que l'opérateur lui reverse une part de l'argent perçu sur l'abonnement.

En fait, ces débats se construisent au travers d'attaques et de contre-attaques. De feux et de contre-feux. Et au milieu, un acteur : le consommateur. On peut juste regretter qu'une seule association de consommateurs s'implique sur le sujet, à savoir UFC - Que Choisir.

Qui doit financer ? Le fournisseur de contenus ou le consommateur

Car naturellement, le sujet dévie vers le consommateur. Si l'opérateur n'est pas en mesure d'obtenir un financement complémentaire de la part des fournisseurs de contenus, si en parallèle il doit investir dans son réseau - et pour déployer, à la demande du monde politique, du très haut débit - et cela en conservant quelques marges financières (l'opérateur demeure une entreprise, en plus cotée en bourse), il ne lui reste qu'une chose à faire : demander au consommateur un petit coup de pouce.

Origami dollar t-shirt
Source : Vaguely Artistic sur flickr (cc)

D'où l'idée d'avoir la création de cet internet à deux vitesses avec des mécanismes de paliers tarifaires associés soit à un niveau de débit, soit à un volume de données à consommer. Le gros consommateur, le "net goinfre" serait alors appelé à basculer vers les offres internet "tout inclus" ; les consommateurs classiques (madame Michu & co) paieraient le même prix qu'actuellement mais en contrepartie, ils verraient l'instauration de limitations.

UFC Que Choisir s'oppose à ce principe. D'une part car cela serait un retour en arrière considérable en matière d'offres offertes aux consommateurs. D'autre part, cela provoquerait sans nul doute une vraie problématique juridique : le consommateur qui a souscrit à une offre illimitée voici plusieurs mois et qui se retrouve du jour au lendemain avec des limitations. On se souvient notamment de la bataille judiciaire que l'association avait engagée à l'encontre d'AOL lorsque ce dernier, qui avait créé un forfait illimité, avait institué des systèmes de déconnexion toutes les 30 minutes.

En outre, un tel mécanisme serait un réel challenge en matière d'information du consommateur. Combien de services marketing d'opérateurs accepteront soit d'abandonner la référence au terme "illimité"soit de mentionner en caractères bien apparents les limitations associées à ces forfaits.

Et surtout dernier point, cela mettrait à mal un autre projet que l'association soutient avec tout le collectif Création Publique Internet : l'instauration d'une licence globale. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une certaine manière de légaliser le partage de contenus sur l'internet moyennant le paiement par le consommateur d'une "licence globale", c'est à dire d'une rémunération qui serait ensuite partagée entre l'ensemble des acteurs du monde culturel. Cette licence globale, qui apparaît dans le programme politique notamment du PS, se veut une autre réponse à la question du piratage. Sauf, que l'idée d'un internet à deux vitesses pourrait anéantir sa mise en oeuvre.

En effet, la contrepartie d'une licence globale est la possibilité offerte aux consommateurs d'accéder à toutes les oeuvres de tous les médias. Or, dès lors qu'on institue des forfaits avec des limitations volumétriques, la possibilité d'accéder aux oeuvres se trouve réduite. L'intérêt pour le consommateur de payer pour une licence globale s'en trouve aussi réduit. Sauf que le modèle de la licence globale repose sur une sorte de "mutualisation". En clair, pour ce mécanisme soit efficace et assure une juste rémunération, il est nécessaire que tous les internautes l'acquitte (d'où l'idée du collectif de l'ajouter sur la facture du fournisseur d'accès).

Ainsi, si un consommateur ne bénéficie pas d'un forfait lui permettant de bénéficier des bienfaits de la licence globale, pourquoi la paierait-il ? Et s'il la paye pas, le principe même de cette licence tombe de facto. 

De son côté l'association propose plutôt d'encadrer les relations tarifaires entre les opérateurs et les fournisseurs de contenus par l'intermédiaire d'une régulation du prix de l'interconnexion entre le réseau de l'opérateur et du fournisseur, prix qui serait orienté vers le coût des infrastructures. La fameuse terminaison d'appel data (TA data) qui figure parmi les propositions du rapport d'information de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur la neutralité de l'internet (rapport de Laure de la Raudière et Corinne Erhel). Une idée qui finalement ne collecte pas l'assentiment des opérateurs et des fournisseurs de contenus qui souhaitent conserver leur liberté dans le cadre de leurs relations commerciales.

Côté internet à deux vitesses, les fournisseurs de contenus demeurent plutôt silencieux. Une des raisons est que la mesure ne les concerneraient pas. En effet, un opérateur pourrait réfléchir à deux fois avant d'interdire ou de restreindre l'accès de ses clients à des sites de partage de vidéos ou même à des sites permettant de faire du streaming audio ou vidéo. Mais sans doute que si l'idée se confirme que ces mêmes acteurs seront très attentifs aux seuils que fixeraient chaque opérateur afin de déterminer si cela permet d'inclure (ou non) la très grande masse de leurs utilisateurs.

Et donc si on essaye de synthétiser :
- les opérateurs souhaitent une participation financière de la part des fournisseurs de contenus pour le développement des infrastructures ;
- les fournisseurs de contenus ne souhaitent pas contribuer différemment que leur contribution actuelle ;
- les opérateurs allument donc des contre feux : taxe sur la consommation de bande passante (alors qu'ils savent que si ça passe, l'argent reviendra intégralement à l'Etat ...), création d'un internet à deux vitesses dans le but de voir réagir les consommateurs ;
- les consommateurs s'opposent à un internet à deux vitesses et proposent une régulation tarifaire des relations entre opérateurs et fournisseurs de contenus ;
- les opérateurs et fournisseurs de contenus ne veulent pas une régulation tarifaire et préfèrent conserver leur liberté de négociation commerciale.

Sans doute que l'internet à deux vitesses ne verra pas le jour. Les relations entre opérateurs et fournisseurs de contenus commencent à s'apaiser et des accords commerciaux - entre certains - se signent.

Il ne restera qu'un seul élément : la pression politique en faveur d'un développement du très haut débit partout en France à des prix abordables, mais sans le soutien financier nécessaire de l'Etat à ce développement. Clairement, et encore plus à une époque où l'on souhaite maîtriser les dépenses publiques, il faudra que l'Etat fasse un choix : soit prendre en charge le développement de ces nouveaux réseaux, soit laisser les acteurs et notamment les opérateurs décider de leur politique de déploiement (notamment de la fibre) et des tarifs associés quitte à ce que les mises en oeuvres soient éloignées de l'idéal politique.

Ainsi, le président du PRG réagissait contre l'idée d'un internet à deux vitesses en rappelant que "la France a pris un retard de plus en plus pénalisant dans le développement de la fibre optique". Certes, mais ça ne dit pas comment ce déploiement sera financé. Ni par qui.

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En complément :
- un article sur l'écosystème de l'internet français (et notamment tous les intervenants techniques) par @bitonio

- Selon Nicolas Rauline (Les Echos), Eric Besson (Ministre en charge de l'économie numérique) a rappelé que "Le gouvernement n'envisage aucune restriction de l'accès a Internet et travaille bien au contraire au développement du très haut débit"

samedi 20 août 2011

[hors sujet] Quelques notes de lectures

Le numérique, quelques fois, nous donne envie de tourner quelques pages de papier et de parcourir ce que l'on appelait voici quelques temps non pas un "blog" ou un "tweet" mais un livre. Souvenez-vous, avant de pouvoir lire ces ouvrages sur votre tablette PC ou sur votre Kindle, il existait une époque où ces grimoires pouvaient être achetés sous un format non numérique, IRL comme on dit, dans ce que l'on appelait des librairies.

llibreria - bookstore - Amsterdam - HDR
Source : MorBCN sur Flickr (CC)

Coup de chance pour nous, celles-ci n'ont pas encore disparu même si certains s'alarment (au point de vouloir interdire la vente de tout ouvrage sur internet - oui, là, je peux le dire gros, gros soupir).

Au fur et à mesure de mes lectures, sur pas mal de sujets, je relève quelques passages. Ils sont publiés en guise de "posts"publics sur mon compte Google+. L'idée, outre de compiler des réflexions qui se mélangent aux miennes et qui permettent, en permanence, la construction de la pensée, j'aimerai aussi par ce biais là redonner un petit goût de la lecture.

Non pas avec la volonté de sauver l'édition française, mes petits bras ne suffiraient pas. Mais plutôt d'alimenter le feu de la diversité culturelle.

Les premiers extraits proviennent des livres suivants :
Google God, d'Ariel Kyrou (Editions Inculte, 2010)
Une langue venue d'ailleurs, de Akira Mizubayashi (Editions Gallimard, 2011)
Perspectives démocratiques, de Walt Whitman (texte de 1876, traduction aux Editions Belin, 2011)

mardi 16 août 2011

Un nouveau défi pour le data-journalisme face à l'opendata ?

Le mot est de plus en plus à la mode sur l'internet. Data-journalisme ou comment faire un nouveau type de journalisme en croisant des données et informations publiques. Il est difficile de trouver une définition commune et acceptée par tous de ce que l'on appelle le journalisme de données.

Who'd Live in Stratford, Eh?
Source : DG Jones sur flickr (CC)

Caroline Goulard écrivait ainsi en 2010 que cette nouvelle forme de traitement de l'information avait 4 dimensions :
1- Compréhension : le data-journalisme permet de mieux comprendre le monde
2 - Personnalisation : le data-journalisme permet de personnaliser la vue sur le monde
3 - Investigation : le data-journalisme permet d'éclairer autrement le monde
4 - Participation : le data-journalisme permet de participer à la description du monde

Et elle concluait par une sentence selon laquelle "pas de datajournalism sans travail d’éditorialisation", en sachant que par éditorialisation, Caroline Goulard évoquait la "problématisation, inscription dans le débat public, storytelling, hiérarchisation, définition d’un angle de traitement de l’actualité et d’un message à délivrer. Vous remarquerez que l’esquive volontairement la référence au journalisme".

De son côté, sur le blog de l'Express, Eric Mettout annonçait même que le "data journalisme, c'est l'avenir en marche" avant de rappeler les diverses contraintes qui pouvaient apparaître au rédacteur en chef d'un journal classique. Une phrase de Nicolas Kayzer-Bril, citée par Nicolas Mettout, permet sans doute d'entrevoir ces nouveaux défis : "A terme, à mon avis, un journaliste va devoir un peu se transformer en chef de projet, pour savoir trouver les données et les mettre en forme".

Et finalement, c'est à l'étranger que ce journalisme de données a commencé à prendre ses lettres de noblesses. Notamment un média britannique s'est fait un spécialiste de ce travail à savoir le Guardian avec son site dédié au Data Journalism à la baseline ravageuse : facts are sacred.

Faisant récemment un bilan de ses deux années d'expérience, Simon Rogers du Guardian indiquait que "Le data journalisme ne se résume pas à des graphiques et à des visualisations. Le but est de raconter des histoires, de la meilleure façon possible. Parfois ce sera une visualisation ou une carte". Avant de conclure par "Faire du datajournalisme n’est plus exceptionnel, c’est désormais juste du journalisme".

En France, en janvier 2010, un article titrait que le data-journalisme peinait à se développer. Aujourd'hui, et après la mise en ligne par Wikileaks de nombreux câbles diplomatiques, la traitement de masse de ce type de données permet de plus en plus d'enrichir le travail des journalistes.

Mieux, de nombreuses voix notamment dans les sphères publiques s'élèvent en faveur d'une libéralisation de plus en plus forte des données, des fameuses données publiques - encore communément appelées opendata - afin de permettre la création de ces statistiques et autres cartographies.

L'obtention de ces données publiques pour le développement de la transparence et du journalisme est fort. L'un des besoins des spécialistes du data-journalisme est d'obtenir des "données pertinentes et incontestables" pour reprendre les termes de Nicolas Vanbremeersch.

En ouvrant encore plus l'accès à ces données collectées ou produites par l'Etat, les collectivités territoriales voire les établissements publics, on permettrait ainsi de donner de plus en plus de matière au traitement journalistique. Après, le périmètre devra être débattu. Inclura-t-il également les notes de frais des élus (comme cela a pu être le cas au Royaume-Uni entraînant une vague de démission ou comme cela est le cas dans certains pays nordiques comme la Suède) ou les versions complètes des déclarations publiques d'intérêts que doivent, d'ores et déjà, remplir certains experts (et qui sont appelés à se développer avec le nouveau projet de loi en faveur de la déontologie et la prévention des conflits d'intérêts).

Mais au delà du développement du data-journalisme parallèlement à une ouverture de plus en plus forte des données, une nouvelle question se pose. La même que celle régulièrement évoquée : le data-journalisme est-il du journalisme ?

Deux exemples pourraient être pris. L'un français, l'autre britannique.

Premier cas : la numérisation des lobbyistes

Prenons l'exemple français. Il s'agit de l'étude réalisée par le collectif Regards Citoyens à propos du lobbying auprès de l'Assemblée nationale. A partir d'une analyse des rapports parlementaires, le collectif a pu indexer et répertorier l'ensemble des acteurs ou représentants d'intérêts auditionnés par les parlementaires. Le résultat est réellement intéressant. Il permet de visualiser par thématique, quels sont les principaux types d'acteurs auditionnés, etc.

House of Commons Chamber
Source : UK Parliament sur flickr (cc)

Sur la base de ces données, le collectif a ensuite réalisé un certain nombre de conclusions.

Connaissant un peu le sujet, j'ai décidé de regarder attentivement ces conclusions. Le premier élément est d'ordre purement statistique. Lors de la remise du rapport, il apparaît que j'avais eu l'occasion de faire une apparition dans des auditions à l'Assemblée nationale moins d'une dizaine de fois en l'espace de trois années. Je tiens à rassurer mon employeur à ce sujet, ce n'est pas le cas.

En effet, les rapports parlementaires n'indexent que les auditions officielles, menées au nom d'une des commissions saisies pour examiner un projet ou une proposition de loi ou pour rédiger un rapport. Ces rapports sont un peu l'arbre qui cachent la forêt et notamment les rendez-vous, entretiens, discussions formelles ou informelles qui peuvent avoir lieu dans les couloirs du Parlement avec les députés ou leurs assistants parlementaires.

Deuxième exemple, l'analyse pointe une "quasi-absence des lobbyistes professionnels" puisque la "La présence des conseils privés en auditions ne représente que 1,03% des citations connues". Effectivement, on pourrait se dire que l'on est rassuré ou .. qu'au contraire, ces cabinets font bien leur travail. C'est à dire en avançant masqué.

Quel est le rôle de tels conseils privés ? Ils sont multiples. D'une part, ils peuvent servir à ouvrir les portes pour accéder à un parlementaire (ou à un cabinet ministériel). Usant de leurs réseaux, ils en font profiter leur client et décrochent un rendez-vous, un entretien ou une audition. Ensuite, ils peuvent également servir d'outil de veille en informant leurs clients de tel ou tel texte, de l'avancée de tel ou tel amendement voire des rumeurs circulant dans les couloirs du Parlement. Dernier rôle, celui plus proactif de jouer de leur réseau pour convaincre tel ou tel parlementaire ou groupe politique à soutenir un projet ou un amendement qui serait favorable à leur client.

Clairement ce rôle important des conseils privés ne peut apparaître au travers d'une simple analyse de la liste des participants aux auditions menées par les commissions de l'Assemblée nationale. Et ceci sans compter sur le fait que bien souvent présents lorsqu'ils accompagnent leurs clients en audition, leur nom n'est pas systématiquement repris dans la liste des personnes auditionnées.

Ici, la donnée a une limite. La donnée ne permet de dire que ce qu'elle répertorie. La donnée n'est pas universelle ou omnisciente. Et se focaliser sur cette information, sur la face visible de l'iceberg a pour effet bien souvent de masquer la réalité et donc l'information, à savoir ce qui n'est pas dans la donnée elle-même.

Deuxième cas : le traitement des émeutes britanniques

Le deuxième exemple sera lui britannique et notamment provient du Guardian. Comme indiqué plus haut, ce média est l'un des précurseurs dans le data-journalisme et pour lui les "faits sont sacrés".

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Source : acute_tomato sur Flickr (cc)

A l'occasion des émeutes (ou violences) qui ont touché Londres et plusieurs villes britanniques, le Guardian a réalisé de nombreuses cartographies toutes aussi intéressantes les unes que les autres mêlant données statistiques de diverses natures.

Tout d'abord au lendemain des évènements, une première carte est publiée le 10 août 2011 qui mélange deux données : les lieux où se sont déroulés les violences et le niveau de pauvreté de ces quartiers.

L'analyse semble évidente : les violences ont eu lieu dans les quartiers où le niveau de pauvreté est le plus élevé. L'auteur de la carte est moins catégorique, il pose uniquement la question d'une éventuelle corrélation, mais dont la réponse devient positive dans les commentaires des internautes.

Quelques jours plus tard, les autorités de police britannique procèdent à de très nombreuses interpellations. Et débute alors un réel marathon judiciaire, les juridictions fonctionnant 24h/24h afin de juger les auteurs des violences et autres vols. Les journalistes suivent ces condamnations et notamment obtiennent une nouvelle source de données : l'identité des auteurs.

Quand on parle d'identité, on vise ici le nom, le prénom, la date de naissance et le lieu de résidence. Ces informations sont même diffusées - accompagnées de la condamnation- sur le fil twitter de la police.

Sur la base de ces éléments, une nouvelle cartographie est alors réalisée par le Guardian. Il s'agit ici de coupler le lieu des violences commises (identifié notamment à l'aide de la vidéo surveillance) et le lieu de résidence des auteurs des violences. Si la BBC annonçait ainsi que 70% des émeutiers n'avaient pas agi dans leur quartier, le Guardian démontre qu'il y a eu effectivement des déplacements de nombreux auteurs de violences mais sans doute dans une proportion moindre.

Et donc, à partir de là, que penser de la première cartographie du Guardian ? S'il est vrai qu'une partie des auteurs de violence se sont déplacés dans d'autres quartiers, quelle corrélation est-il encore possible de faire entre le niveau de pauvreté dudit quartier et la présence de violences ?

Cet exemple est révélateur d'un autre élément. La donnée est froide et impersonnelle. La donnée en elle-même ne donne pas d'analyse. Elle n'a pas de recul. La donnée n'est pas vivante ou animée d'une âme quelconque.

C'est alors qu'entre en scène le travail du journalisme qui va donner à cette donnée l'analyse, la profondeur nécessaire permettant de la comprendre, de la mettre en perspective par rapport aux lacunes qu'elle peut présenter. Car effectivement, mettre en lien le lieu des évènements avec le niveau de pauvreté est compréhensible. Mais sans l'information complémentaire, à savoir "qui est l'auteur des évènements", la cartographie finale, l'information finale se trouve alors viciée et détournée de son origine première.

D'autres exemples pourraient être pris. Notamment comme ce travail d'analyse sémantique des mots les plus fréquemment utilisés dans des câbles de Wikileaks. Mais derrière, et l'auteur l'indiquait clairement, ce n'était qu'un bref aperçu de ce qu'il était possible de faire.

Car au delà de l'analyse sémantique pure des données, une seconde analyse est alors nécessaire. Celle qui mettra en perspective la donnée et qui lui donnera une vie, dépassant sa nature première.

Ce travail autour du data-journalisme pourrait reprendre une des formules des fondateurs de Google utilisée pour définir le moteur de recherche : "Être le relai de toute l'information du monde".

Ici, le journalisme de données se fait le relai de cette information. Mais l'un des enjeux dorénavant du data-journalisme est de dépasser la simple mise en forme des données. Le réel enjeu et qui participera également au soutien à l'opendata, sera la manière dont les résultats d'une mise en forme de ces données seront exploités sur le plan du traitement de l'information.

Le plus difficile sera alors pour le data-journaliste de ne pas raconter ce que dit la donnée, mais bien de lui faire avouer ce qu'elle ne dit pas.

lundi 15 août 2011

Le grand absent des programmes des présidentielles: la eDémocratie

Le 14 août 2011, une tribune de Matthieu Aurouet dans Marianne2 s'interrogeait sur l'avenir du mouvement des Indignés. Revenant sur les solutions possibles, l'auteur propose une 3e voie, une voie intermédiaire afin de capitaliser sur l'apport de ce mouvement.

24J - Asamblea de estrategias
Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Pour lui :
Les Indignés pourraient aller plus loin que la pression de masse que lui dicte la première voie esquissée ici. Il pourrait aussi élaborer son propre programme politique sans être pour autant un parti. Le mouvement aurait des sections nationales libres mais en contact entre elles, avec une ambition commune : ré-intellectualiser la politique en réexplorant le domaine du possible, le volontarisme chevillé au corps.
et
Plus encore, il chercherait à approfondir la démocratie en dépassant l’élection. Il s’agit ici de promouvoir le tirage au sort comme nouveau mode de participation à la vie publique, de le penser et de se battre pour son triomphe, afin que les hommes et femmes du vieux continent ne soient pas condamnés à vivre la démocratie en spectateurs /consommateurs.
La conclusion de l'auteur invite à plusieurs réflexions.

La première vient des différences fondamentales qui peuvent exister entre le mouvement des Indignés tel qu'il s'est déployé en Espagne ou même en Grèce et celui que l'on a pu voir, difficilement, émerger en France. Les fondements n'étaient pas les mêmes et surtout les revendications vis-à-vis de l'organisation politique n'étaient pas les mêmes.

L'Espagne et la Grèce ont un point commun. Ces deux pays sont passés par de longues périodes de dictature (Franco d'un côté, les Colonels de l'autre) empêchant aux divers partis politiques ou organisations professionnelles de se développer. Surtout, une défiance a pu naître chez les citoyens vis-à-vis de ces structures politiques et syndicales dont certaines pouvaient être regardées, après le retour de la démocratie, comme trop proches du pouvoir ancien.

Cette réaction est aujourd'hui la même en Egypte ou même en Tunisie avec une contestation populaire à l'encontre des partis ou syndicats trop proches alors des pouvoirs en place avant les révolutions arabes.

Et naturellement, les citoyens espagnols (ou même grecs) n'ont pas forcément donné aux intermédiaires politiques le même niveau de confiance (et de défiance) que celui que les citoyens français donneraient à leurs partis politiques et syndicats. En France, une partie des acquis sociaux (comme par exemple les congés payés) provient du Front populaire et de l'action d'intermédiaires politiques en faveur des citoyens. En Espagne, les grandes grèves générales n'ont pas été décrétées par des partis ou des syndicats mais par les citoyens eux mêmes.

Cette place des intermédiaires est déterminante dans le mouvement des Indignés qui se positionne comme apolitique et asyndical. Et surtout, il paraît difficile de généraliser ou de globaliser une approche ou des solutions face à des mouvements de nature locale qui peuvent reposer sur une structuration politique totalement différente d'un pays à un autre. Une simple conversation avec des participants au mouvement des Indignés en France ou même en Espagne permet à la fois de voir des points communs, mais aussi de profondes différences.

Bien souvent, en France, le mouvement des Indignés est résumé comme un regroupement de jeunes libertaires, de personnes membres de partis d'extrême gauche ou de personnes souhaitant une refonte totale des institutions. La réalité est tout autre et l'on peut trouver également des personnes âgées, des étudiants, des travailleurs, des jeunes et des plus vieux, avec ou sans emploi. Ces personnes aspirent à une place plus importante du citoyen.

En Espagne, le mouvement est tout aussi disparate, mais on rencontre rapidement des personnes qui vont  vous parler de leurs difficultés. Ici des personnes ayant un travail mais qui ne touchent plus aucun salaire depuis plusieurs mois car leur employeur, collectivité publique notamment, est tellement endetté qu'il n'est pas en mesure de verser les salaires. Là, ces personnes qui ont vu leur bien immobilier être saisi par les banques et qui se retrouvent malgré tout tenus de continuer à rembourser un prêt pour un bien qu'ils ne possèdent plus. Une des conséquences de la fameuse crise des subprimes datant maintenant d'il y a 3 ans.

Rapprocher Citoyens et Politique(s)

De manière générale, le discours commun qui revient dans les divers mouvements des Indignés est la distance qui s'est creusée entre le lieu de prise de décision politique, en particulier les Parlements nationaux, et les citoyens eux-mêmes. La question de la dette publique en est un bon exemple : les pouvoirs politiques sont incapables d'expliquer aux citoyens les raisons de la dette publique ; les citoyens se retrouvent donc en opposition face à une décision "venue d'en haut" leur demandant de participer au remboursement de cette dette, bénéficiant notamment à des banques étrangères.

19 juin 2011 - La #FrenchRevolution défile à Paris
Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Dans sa Tribune, Matthieu Aurouet propose que le mouvement des Indignés prépare une sorte de programme politique d'un nouveau genre destiné également à inciter l'ensemble des acteurs, chaque citoyen, à reparticiper à la vie politique. Et d'inviter également le mouvement à se structurer en sections locales et nationale.

Seulement, est-ce cela qui doit être la première étape ? Ne faudrait-il pas d'abord réfléchir à la manière de rapprocher citoyens et prises de décision politique ? Ne faudrait-il pas réfléchir à de nouveaux outils de débat public destinés à la fois au monde politique (afin qu'il explique les décisions prises) et à chaque citoyen (capable alors d'y réagir) avant de structurer plus largement les personnes y participant.

En trouvant ces nouveaux outils, sans doute alors que le schisme qui s'est creusé entre les divers acteurs de la vie politique sera peut être amené à se réduire. Sans doute pas à disparaître, mais du moins, on pourra envisager de rapprocher ces deux mondes. Rares sont les lieux où des politiques sont en mesure de dialoguer avec des citoyens lambda, de pouvoir écouter leurs attentes, de pouvoir - voire de devoir - justifier leur décision politique prise sur tel ou tel sujet.

Les technologies actuelles ont permis de faire quelques pas. Ne doit on pas en profiter pour aller plus loin ? L'opendata est devenu un sujet à la mode, relancé sans nul doute par le choix de l'administration américaine de diffuser encore plus largement des données. Mais finalement ne risque-t-on pas de créer de nouvelles frustrations chez les citoyens ? En leur donnant accès à de plus en plus de données mais sans pour autant leur permettre de réagir à ces données, quelle sera la réaction du citoyen ?

Sans doute que cette évolution sera longue et périlleuse en France.
Sans doute qu'on sera capable de la voir émerger plus rapidement dans d'autres pays européens.

Preuve en est : dans les programmes tant de l'UMP que du PS pour les prochaines présidentielles où aucun mot n'apparaît sur la manière dont les nouvelles technologies pourraient être utilisées pour améliorer la démocratie. La edémocratie semble, à la lecture de ces programmes, se confondre dans la simple mise à disposition de données publiques.

Créer, innover, ré-inventer de nouveaux outils

Des outils de débat public existent. Quel rôle attribuer à la Commission nationale du débat publique ? Quelle fonction donner au Conseil économique et social censé représenter la société civile ?

La #FrenchRevolution reprend la Bastille
Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Georges Bernard Shaw, l'auteur du mythique Pygmalion, rappelait une triste réalité : "La démocratie est une technique qui nous garantit de ne pas être mieux gouvernés que nous le méritons". Est-ce parce que nous ne connaissons pas et que nous n'avons pas appréhendé les outils actuels que nous ne pourrions avoir mieux ?

Un exemple : qui se souvient de la réforme constitutionnelle de 2008 sur la pétition citoyenne ? Citons juste le texte de l'ordonnance relative au CESE (Conseil économique, social et environnement) :
Art. 4‑1. – Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition de toute question à caractère économique, social ou environnemental.
La pétition est rédigée en français et établie par écrit. Elle est présentée dans les mêmes termes par au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France. Elle indique le nom, le prénom et l’adresse de chaque pétitionnaire et est signée par lui.
La pétition est adressée par un mandataire unique au président du Conseil économique, social et environnemental. Le bureau statue sur sa recevabilité au regard des conditions fixées au présent article et informe le mandataire de sa décision. Dans un délai d’un an à compter de cette décision, le Conseil se prononce par un avis en assemblée plénière sur les questions soulevées par les pétitions recevables et sur les suites qu’il propose d’y donner.
L’avis est adressé au Premier ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et au mandataire de la pétition. Il est publié au Journal officiel.
A ce jour, ce droit de "pétition citoyenne" n'a semblé avoir été mis en oeuvre qu'une seule et unique fois. En effet, selon le CESE, par un communiqué de presse du 1er avril 2011 , le collectif Autisme a annoncé vouloir saisir le CESE pour "évaluer la situation économique" de la prise en charge de cette maladie jugée "désastreuse". Malgré un site internet, et près de 40 millions de Français connectés à internet, le seuil des 500.000 signatures ne semble pas avoir été atteint.

D'autres mécanismes existent. On pourrait prendre l'exemple islandais même si dans la réalité, l'apport d'internet à la réforme constitutionnelle est plus contrasté. Mais clairement, c'était une première étape et internet peut faire naître de nouveaux outils. Certains demandent à être améliorés. D'autres sans doute à être inventés.

Si tous les candidats s'accordent pour une amélioration des politiques publiques en matière d'opendata, aucun ne semble aujourd'hui avoir fait de propositions pour que le citoyen puisse directement, ou même indirectement, participer à la vie publique. Seulement, c'est cela le défi du numérique pour demain. Il ne s'agit pas seulement de garantir un développement du numérique sur tout le territoire. C'est aussi permettre à chaque personne de s'approprier l'outil internet. Et quel meilleur moyen que de créer une interaction dans la vie publique ? Même le Conseil d'Etat dans son dernier rapport ne s'y est pas trompé et invite à une vraie réflexion sur une nouvelle forme de consultation et de participation à la prise de décisions publiques.

Edouard Herriot disait une chose très belle dans ses Notes et Maximes: "La démocratie est une bonne fille ; mais pour qu'elle soit fidèle, il faut faire l'amour avec elle tous les jours."

Au boulot, donc.