mardi 26 juillet 2011

Et si on supprimait le Conseil supérieur de l’audiovisuel ?

Avec ce titre volontairement polémique, il s’agit avant tout d’engager à une réflexion sur la régulation opérée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, notre fameux CSA, à l’ère du développement de nouveaux services (comme la VOD ou la TV de rattrapage) mais surtout de nouveaux outils comme les TV connectées.

Joy & Mya  - Steel non se la sentiva...
Source : Funky64 sur Flickr (CC)

La réflexion part du rapport annuel pour 2010 du CSA. Dans une partie dédiée, le CSA souhaite « répondre à la demande sociale croissante de régulation, sur tous les supports » et même faire évoluer « les compétences du Conseil sur tous les supports ». Ce dernier point est intéressant.

A juste titre, le CSA relève que :
« Au sein d’une même législation, les services sont soumis à des réglementations variables, en fonction de leur nature : contenus linéaires ou à la demande, professionnels ou amateurs, etc. Cela se caractérise plus particulièrement en France par une distinction entre le régime de la communication audiovisuelle et le régime de la communication au public en ligne, qui tend à faire peser de plus lourdes obligations sur les acteurs traditionnels de la télévision. ».

Mais surtout, le CSA va plus loin. Il part d’une interrogation simple :
« comment expliquer au public qu’il y a des différences de régulation là où il ne voit pas de différences entre les contenus ? Mais c’est aussi un constat du point de vue économique et stratégique : quand il y avait une différence entre écran de télé et écran de PC, cela pouvait encore s’envisager. Mais aujourd’hui, avec les téléviseurs connectés, nous entrons dans une ère où les différences de régulation se matérialisent sur le même écran »

Le CSA plaide donc en faveur d’une « continuité des buts de la régulation » et à ce titre, « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est le mieux placé pour assurer de telles corégulations ». On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Tout converge vers le téléviseur

Le raisonnement du CSA est implacable. Les contenus audiovisuels tendent à se développer en dehors des acteurs classiques de l’audiovisuel que sont les chaînes de télévision. Face à ce phénomène, une directive communautaire et la loi du 5 mars 2009 procédant à sa transposition ont créé une catégorie juridique intitulée les Services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). Selon ces textes, les SMADs qui recouvrent notamment les sites de VOD ou de TV de rattrapage sont partie intégrante de la communication audiovisuelle sous la coupe du CSA.

Enough!
Source : Niecieden sur Flickr (CC)

Mais à côté des SMADs, des sites internet – des services de communication au public en ligne – se développent fournissant un contenu de nature audiovisuelle. Sa particularité ? Être fourni par des particuliers voire des professionnels. Se positionnant comme des intermédiaires techniques, des hébergeurs de ces contenus, ces sites (Dailymotion, Youtube, etc.) n’entrent pas dans la définition des SMADs.

Mais la frontière entre ces deux types de contenus tend à se résorber. Tout d’abord, de plus en plus de voix s’élèvent pour expliquer qu’une partie des contenus hébergés par Dailymotion et Youtube ne sont pas des contenus dits « UGC » (user generated content) mais relèvent de la catégorie des SMADs.

Ensuite, avec l’arrivée progressive dans les foyers des téléviseurs dits « connectés », la possibilité de recevoir directement sur cet écran les contenus hébergés par les sites comme Dailymotion ou Youtube créerait une sorte de confusion dans l’esprit de l’internaute devenu téléspectateur. Cet internaute-téléspectateur serait alors demandeur des mêmes garanties en termes de pluralisme politique, de protection de l’enfance ou même de protection des consommateurs.

En conséquence, face à une convergence de tous les contenus de nature audiovisuelle sur un seul et même écran, l’écran TV, pour le CSA il reviendrait de faire converger la régulation de tous ces contenus entre les mains d’une seule et unique autorité. Lui-même.

Le CSA : régulateur du téléviseur ou régulateur d’un secteur audiovisuel ?

Ce raisonnement est intéressant car finalement il revient à modifier profondément la nature de la régulation opérée par le CSA. Le CSA serait donc le régulateur des téléviseurs, et ceci peut importe le contenu qui y serait diffusé ou qui y serait accessible. Est-ce tenable ?

La première question à se poser, c’est : quel est le rôle du CSA et sa vocation première ? La solution se trouve dans la loi du 30 septembre 1986 qui fixe les compétences du CSA. Une lecture plus compréhensible peut également être faite au travers du site de l’autorité. Et la réponse est sans appel : la première mission du CSA est de « gérer et attribuer les fréquences destinées à la radio et à la télévision ». La deuxième consiste à délivrer les « autorisations assorties de conventions » aux divers opérateurs.

La vocation première du CSA est donc de gérer l’attribution des fréquences hertziennes. Or, ces fréquences possèdent une particularité étrangère à l’internet : la rareté de la ressource. Contrairement aux sites internet, seul un nombre très limité d’opérateurs est susceptible de retransmettre leurs contenus par l’intermédiaire des ondes hertziennes. Le bloc de fréquence attribué aux radios et télévisions étant limité, le nombre d’opérateurs susceptibles d’y être présent l’est également.

Face à cette rareté de la ressource, plusieurs défis se présentaient au CSA : gérer la rareté dans un but d’intérêt général et s’assurer que les opérateurs respectent un certain nombre de règles liées au caractère massif des médias que la télévision et la radio représentent. Ces règles, elles sont connues de tous : pluralisme politique et syndical, protection des mineurs, accessibilité des personnes handicapées, fixation de règles pour les publicités et le placement de produit, etc.

En substance, le fondement même de l’existence du CSA est le suivant : gérer dans un but d’intérêt général une ressource rare utilisée par des médias de masse.

Et sans nul doute, le point le plus saillant dans cette problématique demeure le caractère « rare » de la ressource utilisée. Cette nécessité de régulation par l’intermédiaire d’une autorité d’une ressource rare est déjà connue dans le secteur des télécommunications (ARCEP), des réseaux électriques (CRE), des réseaux ferrés (RFF) … A l’inverse, en l’absence, le besoin d’établir une régulation spécifique ne se fait plus jour. Par exemple, en matière de presse écrite, aucune autorité administrative ne vient fixer de règles déontologiques sur les contenus ou de quelconques quotas.

Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la légitimité du CSA à souhaiter vouloir réguler un média comme l’internet, y compris finalement les SMADs. D’une régulation basée sur la gestion d‘une ressource, le CSA accroît progressivement son champ de compétences régulatoire à l’ensemble des contenus qui peuvent s’apparenter à des contenus audiovisuels. Il s’est agi dans un premier temps du flux streaming des chaînes de télévision diffusé sur internet, puis des SMADs et finalement – à en croire son dernier rapport annuel – à tous les contenus susceptibles d’être reçus sur une TV connectée à l’internet.

Or, avec le développement de la diffusion de contenus audiovisuels par l’intermédiaire d’internet, la raison même de l’existence de ce type de régulation disparaît. Avec le développement de plus en plus fort des contenus audiovisuels sur internet, la rareté de la ressource n’est plus en cause.

Et si Internet ne constitue pas une ressource rare qu’il faut gérer, alors quelle légitimité aura le CSA à vouloir réguler ces contenus ?

Assurer la protection de l’enfance ? Des règles existent en la matière, des mécanismes d’auto-régulation se mettent en place.

Assurer le pluralisme politique et syndical ? Au regard de la nature même d’internet, on peut douter de la difficulté voire de l’impossibilité pour des partis politiques ou des syndicats de ne pas transmettre leur discours ou leurs prises de position.

Assurer la protection du consommateur ? Un corpus législatif existe d’ores et déjà pour encadrer fortement la publicité clandestine et plus généralement toutes les pratiques commerciales déloyales.

Television Rules the Nation
Source : StudioTempura sur flickr (CC)

Internet n’est pas de la télévision.
Internet n’a pas les mêmes caractéristiques. Le réseau ne connaît pas de frontière, il ne connaît que peu de limites et ses utilisateurs ne sont pas passifs. Ils ne sont pas des spectateurs. Ils sont des acteurs de son développement.

Dépassionner le débat, rebattre les cartes

Face au développement progressif du réseau mondial, le rôle du CSA est à repenser et à redéfinir. De son côté, l’autorité veut naturellement étendre son champ d’intervention. Une simple défense naturelle. Elle est soutenue en cela par une partie non négligeable du secteur pour une raison fondamentale : ne pas créer de situation facialement défavorable au secteur de l’audiovisuel face à la croissance rapide des acteurs de l’internet. En synthèse : faire en sorte qu’une chaîne de télévision ne se trouve pas, notamment en raison de contraintes réglementaires fortes, désavantagée par rapport à un site internet de partage de vidéos qui ne serait pas soumis à la même réglementation contraignante.

Outre ces aspects, rappelons également que la qualification en contenu audiovisuel a d’autres conséquences : application de taxations diverses à l’éditeur du service ou obligations en matière de respect de l’exception dite culturelle.

Et donc, au-delà de toute la question de savoir si le CSA doit ou non réguler ces contenus, la question du financement de la création audiovisuelle est également en débat. Si des contenus « internet » viennent à concurrencer trop fortement des contenus « audiovisuels » sur le même écran de télévision, la participation financière des chaînes de télévision à la filière culturelle (production audiovisuelle indépendante notamment) va diminuer progressivement, sans aucune compensation économique directe pour celle-ci.

A l’horizon 2012, le débat sur la TV connectée va donc ouvrir une réflexion tout aussi complexe que celle sur la neutralité de l’internet. Est-ce que la réception de contenu internet sur un récepteur TV est à-elle seule susceptible de justifier un contrôle du CSA ? Est-ce que le développement de la diffusion par internet, ressource non rare, de contenus de nature audiovisuelle justifie encore le recours à un régulateur ?

A mes yeux, il n’est pas évident aujourd’hui que l’on puisse se satisfaire d’une extension des pouvoirs de régulation du CSA à tous les contenus susceptibles d’être reçus par l’intermédiaire d’une TV connectée. Mais au-delà, c’est la nature même d’une régulation des contenus audiovisuels par le CSA qu’il conviendra sans doute dans les futures années de repenser. Si les raisons qui ont fondé la naissance d’une telle autorité disparaissent, si le média internet par sa nature est propre à assurer un pluralisme politique, est-ce que la protection de l’enfance peut justifier à elle seule le maintien d’une autorité de régulation dont les pouvoirs seront naturellement limités ?

Et sans nul doute qu’il faudra également, afin de dépassionner le débat, séparer la question de la régulation des contenus de nature audiovisuelle de celle de la participation financière des acteurs de la diffusion à la création. Mais sur ce dernier point, la convergence des intérêts (CSA, filière culturelle, acteurs de l’audiovisuelle) ne va pas forcément dans le sens d’une meilleure appréhension de la convergence des supports.

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