jeudi 17 février 2005

Vademecum sur le projet de directive "services"

Une semaine sans nouveau post ... j'ai honte. Pour la peine, je vous livre un petit vademecum sur le projet de directive relative aux services dans le marché intérieure (dite directive Bolkestein). Ce texte se base sur la proposition de directive telle que présentée le 13 janvier 2004. Celle-ci devrait faire l'objet de profondes modifications dans les semaines à venir.

Champ d’application

La directive s’appliquerait à tous les prestataires ayant leur établissement dans un Etat membre de l’Union européenne sauf :
- les services financiers ;
- les services et réseaux de communications électroniques (couverts par le Paquet Telecom) ;
- les services de transport.

Simplification des règles applicables aux prestations de service

Parmi les mesures prévues par la directive, le texte souhaite imposer la création d’un guichet unique en matière de création des sociétés, d’information de celle-ci et souhaite promouvoir le recours aux procédures par voie électronique.

Encadrement du recours aux régimes d’autorisation

La directive fixe des cas limitatifs du recours aux régimes d’autorisation (absence de discrimination, raison impérieuse d’intérêt général, contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement) et encadre les conditions d’octroi de ces autorisation (reposer sur des critères notamment proportionnel, précis et non équivoques, objectifs, rendus publics à l’avance).

Fixation du principe de la loi du pays d’origine

Elément le plus critiqué par la France, le texte fixe le principe de la loi du pays d’origine sauf pour certaines matières (service postal, électricité, gaz, eau, séjour des étrangers, droit du travail, protection des données persos, droit d’auteur, contrôle des comptes, intervention d’un notaire, contrats de prestation de service conclus par le consommateur pour lequel aucune harmonisation n’est intervenue).

Ce principe est la conséquence directe de la création d'un marché commun en Europe. Tous les pays ayant idéalement adopté des dispositions similaires, transposant des directives, un consommateur doit normalement bénéficier de droits équivalents dans chaque Etat. Encore faut-il deux éléments : que la directive ne soit pas minimale, et que sa transposition soit conforme. A défaut, le consommateur sera tenu de rechercher les textes qui lui seraient alors applicables (et sans doute, pas dans une version française !).

Ce principe n’est pas applicable à certains secteurs pendant une durée transitoire (5 ans) : le transport de fonds, les casinos ou le recouvrement de dettes. Enfin, certains principes nationaux continuent de s’appliquer : les règles relative à la sécurité des services (santé publique) ou à la protection des mineurs.

Parallèlement, le projet de texte souhaite interdire aux Etats d’imposer aux sociétés d’avoir un établissement dans un ou plusieurs Etats ou d’être inscrit dans le registre du commerce et des sociétés des Etats où elle exerce son activité.

Renforcement des obligations d’information

L’article 26 du projet de directive harmonise les obligations d’information auxquelles sont soumis les prestataires de service. On retrouve des éléments analogues à la LCEN (nom, adresse, numéro d’inscription au registre du commerce et des sociétés, etc.). Ces informations devront être communiquées de manière claire et non ambiguë.

Le seul hic est le suivant : dès lors que la société n'a plus l'obligation d'être inscrite au RCS français, il sera sans doute difficile à un consommateur d'avoir accès aux informations relatives à cette société : qui est aujourd'hui capable - en utilisant des outils disponible gratuitement sur la toile - de connaître le dirigeant social d'une entreprise polonaise ou tchèque ?

Les prestataires devront aussi communiquer (à la demande du consommateur) les informations sur l’existence ou non d’une garantie après-vente et sur les éléments relatifs à sa mise en œuvre (durée, étendue territoriale). Cette précision est relativement traitre. En effet, l'étendue territoriale de cette garantie constituera sans nul doute un élément déterminant du choix du cocontractant par le consommateur. Ne pas imposer - par défaut - l'indication de cette information, pourrait donc lui être préjudiciable.

Les prestataires doivent aussi fournir une adresse postale, de télécopie ou de courriel afin d’adresser une réclamation ou demander des informations. Les prestataires devront alors « répondre aux réclamations dans les plus brefs délais et faire preuve de diligence pour trouver des solutions appropriées ».

Elément original, le texte impose aux Etats de prendre des mesures afin que les prestataires soient tenus de prouver que les obligations d’information prévues par la directive sont respectées et que les informations sont exactes. Ce point là est interessant : comment prouver qu'une adresse email est valide ? En envoyant un courriel et en prouvant qu'il a bien été reçu ?

Libéralisation des moyens offerts aux prestations réglementées

Le projet de directive souhaite procéder à la suppression totale des interdictions relatives à la communication commerciale des professions réglementées, sous réserve du respect des règles professionnelles - à condition que celles-ci soient elles mêmes conformes aux dispositions communautaires.

« Information sur l’honorabilité des prestataires »

Derrière ce terme, figure une volonté forte d’instaurer une coopération étroite entre les Etats, complémentaire du règlement européen fixation une telle coopération entre les autorités administratives.

Ainsi, les Etats communiqueront à la demande d’une autorité compétente d’un autre Etat membre, les informations relatives aux condamnations pénales, aux sanctions ou mesures administratives ou disciplinaires et aux décisions relatives à des faillites frauduleuses qui ont été prises par leurs autorités compétentes à l’encontre d’un prestataire qui sont de nature à mettre en cause sa capacité à exercer son activité ou sa fiabilité professionnelle.

Lors de la communication de ces informations, l’Etat devra préciser si la décision de justice est définitive et les dispositions nationales en vertu desquelles le prestataire a été condamné.

L'idée est intéressante (encore plus si, nous juristes, nous pourrions y avoir accès !). Seulement, elle va nécessiter de constituer de gigantesques fichiers répertoriant l'ensemble des décisions de justice rendues à l'encontre de tous les prestataires de service.

Vers des textes supplémentaires ?

Le projet de directive prévoit d’inciter les Etats à adopter au niveau communautaire des codes de bonne conduite sur :
- le contenu et les modalités des communications commerciales relatives aux professions réglementées ;
- les règles déontologiques de ces professions.

La Commission doit également présenter, 1 an après l’entrée en vigueur du texte, des propositions complémentaires en matière d’harmonisation des règles applicables aux activités de jeux d’argent (à la lumière d’un rapport qu’elle doit réaliser)

Elle devra aussi analyser le besoin d’adopter un texte dans le secteur de la protection des consommateurs dans le cas de contrats transfrontières.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très utile mémo sur cette directive services, texte rigoureusement inaccessible au citoyen européen, plus encore que d'ordinaire. Mais l'énumération du contenu de ce projet de directive confirme que l’essentiel est bien dans la question de l'application inconsidérée du principe du pays d'origine (PPO).
Bien sûr, c'est une querelle réputée pour ne pouvoir être abordée que par les spécialistes du DIP, mais il faut chercher à comprendre cette question parce qu'il existe là un vrai choix, qui devrait être mieux éclairé par la doctrine juridique française, dont le silence sur ces sujets est assourdissant.

Le principe du pays d'origine (PPO), qui effraie nos décideurs ces jours-ci,serait en bonne voie d'être rejeté par le conseil des ministres européens et le Parlement Européen, a l'occasion du débat sur une proposition de réglement européen, mauvaise mais moribonde, sur la promotion des ventes. http://www2.europarl.eu.int/omk/sipade2?PUBREF=-//EP//TEXT+CRE+20050110+ITEM-014+DOC+XML+V0//FR&L=FR&LEVEL=3&NAV=S&LSTDOC=Y&MODE-CRE=SEARCH&DETAIL=1-096
Le seul intérêt de ce texte aura été d'être un galop d'essai pour la Commission, et notamment en ce qui concerne le PPO, mais pas seulement.

Le PPO est en réalité l'aboutissement d’un lent processus d'accoutumance. Celui-ci a commencé, bien avant la proposition de réglement précitée, avecl’hermétique directive sur le commerce électronique en 2000. On voit bien cinq ans après que rien n'est réglé sur le plan juridique en matière de commerce électronique intracommunautaire. A l'heure où celui-ci se développe,on voit proliférer les difficultés des internautes, confrontés à des opérateurs qui se réfugient derrière l'application de la loi du pays d'origine, sans chercher à se mettre à la portée du public situé au-delà des frontières d'établissement de l'offreur. D'ores et déjà, les conseils donnés au public sont de faire attention avant d'acheter quelque chose hors de l'hexagone. Beau résultat!
Il faudra de bien longues années d'harmonisation communautaire pour que le débat sur la loi applicable soit résolu ! Mais la Commision de Bruxelles fait-elle ce qu'il faut en matière de propositions d'harmonisation ? La DG Markt est si utile au marché qu'elle devrait s'interdire elle-même toute proposition sur des questions comme celles-là. Quel horrible texte que cette directive sercices !